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13
Fév

Jean Rolin – « Les Événements »

[L’intégralité de l’article par ici : http://www.culturopoing.com/livres/litterature-francaise/jean-rolin-les-evenements/20150213

Ainsi donc 2015 devait-elle commencer dans le feu et les larmes, éclairant de curieux atours deux romans dont beaucoup trop d’encre avait déjà coulé : « Soumission », de Michel Houellebecq, et dont on a pu lire sur ce site la chronique par Julien Cassefières, et « Les Evénements », signé Jean Rolin, journal d’une France en pleine guerre civile. Deux visions d’un futur soit disant proche, deux opus à qui on colla un peu trop vite la douloureuse étiquette de Pythie. Quand on connait les amours de Rolin pour les marges et les mondes en déshérence (« La clôture », sur le Boulevard périphérique, « Terminal Frigo », autour du littoral industriel français), l’affiche semblait alléchante, ne serait-ce que pour voir comment il allait slalomer entre les écueils de l’immensité de son pitch

« En traversant l’Allier, mes poursuivants désormais largement distancés, j’observai que même à cette altitude les forsythias étaient en fleur, et que deux grands saules qui poussaient au bord de la rivière, en contrebas du pont, étaient déjà couverts de feuilles lancéolées, et d’un vert pâle pour ce qui était de leur couleur. Si j’avais eu loisir de m’attarder, sans doute aurais-je également remarqué que des bergeronnettes voletaient parmi les rochers à fleur d’eau, et que des hirondelles d’une variété assez rare se disposaient à construire leur nid sur la falaise, celle que j’avais observée avec appréhension depuis la rive opposée, et dont la masse grisâtre, décidément écrasante, se dressait maintenant justement au-dessus de la route. (p.110-111)

France, donc. Sans doute aujourd’hui, encore que. Lorsque débute le récit, la guerre civile a déjà eu lieu. Paris n’est que débris, et dans le cessez-le-feu plus ou moins respecté, le narrateur fonce à toute berzingue vers le Sud, direction le Centre, puis plus tard Marseille. Il y aura bien sûr une femme (mais sans plus), des combats (mais au loin), des factions djihadistes et souverainistes (il parait). Toi lecteur amateur de science-fiction, toi le féru d’intrépides intrigues, toi le sociologue à la recherche d’un biais fictionnel pour analyser une situation géopolitique, autant crever l’abcès : circulez, y’a rien à voir.

[…]

« Mais comment savoir ? Et d’ailleurs quelle importance ? »(p.18), dit le narrateur alors qu’il essaye depuis un hôtel Première Classe de se raconter l’un des rares moments d’horreur du livre, cadavres de curés comme des taches noires au milieu des champs de maïs. Face au sens qui se délite et qui menace de faire perdre la raison, une irréalité se trace, presque à rebours, par force de précision topographique : de Paris à Marseille, il nous emporte dans sa dérive, relevant les quelques cocasseries de son expédition très Monsieur-Hulot au cœur de la France démolie.

 

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09
Fév

[CRITIQUE]Alice Rohrwacher – « Les merveilles »

[L’intégralité de l’article par ici : http://www.culturopoing.com/cinema/sorties-salles-cinema/alice-rohrwacher-les-merveilles/20150209

Flashback de 2014 : Cannes, fric et cocotiers. Classique et ridicule scandale du Palais, Les Merveilles, d’Alice Rohrwacher, prétendument formaté pour plaire à la présidente et froidement reçu par la presse cannoise, est reparti couronné du Grand Prix. Alors, miracle sensoriel ou esbrouffe auteuriste ?

 © Ad Vitam

« On devrait cacher un secret sous le carrelage, comme ca dans quelques années les gens le trouveront. »

[…]

Et le tour de force incroyable du film, c’est de ne jamais céder, quelle que soit la forme qu’il aborde, à une sorte d’ostentation. Pire : de sensiblerie.

C’est qu’Alice Rohrwacher se méfie de l’effet, du « truc ». Laissons cela à la télé : face à la simplicité évidente de chaque instant familial, l’outrance des costumes historiques ridicules et des filtres de couleurs du « Pays des merveilles » expose sa vulgarité. On y grime les paysans pour faire authentique, on célèbre le « vrai produit », on rit habillés en Etrusques, puis on pleure sur le bateau qui rentre.

Jamais de plans de coupes élégiaques, de gros plans outranciers : si « poésie » il y a, elle est toujours corrélée au plan, mais jamais son unique sujet. Face au trait facile, le film, lui, prend plutôt lui le parti de la patience. Par un travail subtil de mise en scène presque documentaire, où l’esthétique s’effaçe derrière le geste, le personnage, l’enregistrement d’une forme d’hyperprésent touchant,  donnant la sensation troublante d’un film qui se cherche autant que son héroïne. Journal de bord d’une adolescence solaire en autant de mues que de scènes, dans un geste hésitant entre la naturalité et une forme de poésie païenne et arte povera. Une fiction liquide et douce comme le miel, s’autorisant de brusques écarts quasi-fantastiques à la grammaire filmique, comme ce faux raccord d’ombres projetés dans la caverne où se réfugie les deux adolescents, puis retombant dans l’enregistrement quotidien de tomates à peler. Si coming-of-age il y a, il est tout à la fois autant celui de Gelsomina que de la réalisatrice et son geste, et du spectateur les regardant toutes deux se dévoiler , tous trois avançant tous ensemble de concert à tâtons, dans une quête bancale vers l’inconnu et le sensible.

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